Barrage du Gabas
Lettre ouverte au Conseil général des Pyrénées-Atlantiques et au Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE) du Béarn
Article mis en ligne le 11 avril 2008
dernière modification le 11 mars 2019

Avant les travaux, un ruisseau à écrevisses, un écosystème riche...

Après les coups de pelles mécaniques... une zone "verte" stérile, enrochée et bétonnée.

Lettre du 11 avril 2008

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers Généraux,

Nous sommes une réunion d’associations, fédérations d’associations et ONG, travaillant dans le domaine de la protection de la Nature et de l’Environnement.

Par cette lettre ouverte, nous souhaitons attirer votre attention sur les animations organisées par le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques en partenariat avec le CPIE du Béarn à l’occasion de l’exposition universelle « Saragosse 2008 », animations baptisées « L’eau autour du Barrage du Gabas » présentées avec un bandeau « Eau et développement durable » et sur la communication dont elles ont fait l’objet.

Cette présentation vise manifestement à créer une confusion dans les esprits en associant le barrage du Gabas (aussi appelé « Gardères-Eslourenties ») à la démarche du développement durable. En réalité, ce barrage est le type même de réalisation que le développement durable tend à éviter car il ne correspond en aucun point à aucun des indispensables trois piliers qui fondent et définissent précisément cette démarche.

Le pilier économique supposerait de reconnaître une place pleine et entière à tous les acteurs économiques. Ici, un usage économique quasi exclusif et une confiscation de la ressource sont déterminés par un mode d’agriculture non durable, l’agriculture du maïs irrigué, dont les besoins en eau semblent ne jamais pouvoir être satisfaits. Cette monoculture ainsi confortée, le barrage contribue à l’ajournement de la nécessaire évolution vers des modes de production diversifiée, plus sûrs à long terme et plus conformes aux attentes de la société. En dehors donc des emplois directs et induits durant le chantier, et le chantier d’un grand barrage n’est pas l’exemple d’une activité économique durable, la perte des activités agricoles sur le site, la poursuite de la concentration dans le monde agricole, liée à l’industrialisation grandissante des pratiques, ne relèvent pas d’une logique économique de développement durable.

Le deuxième pilier est le pilier social, humain. Les concepteurs du projet n’ont pas été sensibles au traumatisme psychologique subis par les habitants expropriés. C’est une tragédie silencieuse, masquée par des aménageurs qui n’ont pas envie d’affronter ce type de dommages immatériels et se contentent de mesures financières souvent dérisoires et symboliques, qui ne restitueront jamais le pays englouti et les milliers de liens que les hommes avaient tissé avec lui.

L’aspect social et humain du développement durable suppose aussi la mise en place, pour tous les grands projets d’aménagements, de processus participatifs poussés. Il n’y a pas de développement durable sans un débat ouvert et sincère . Il est anormal que l’expertise des associations ait été et soit systématiquement dénigrée dans le sud-ouest de notre pays. En janvier 2003, la destruction sans préavis, au bulldozer de la ferme Pecassou, local et siège social de l’association Gabas Nature et Patrimoine et du matériel qui s’y trouvait, action citée il y a quelques jours dans une commission au Sénat au sujet de la répression contre les lanceurs d’alerte dans le domaine de l’environnement, est un exemple évocateur de la façon dont les associations ont été considérées jusqu’ici. Tous les partenaires devraient être associés et respectés, nous en sommes très loin !

Le troisième pilier du développement durable est le pilier environnemental. L’artificialisation de la rivière, la dérive permanente vers la surconsommation d’eau par un modèle agricole dépassé, l’aggravation de la pollution consécutive à ce mode de culture (nitrates et pesticides), la logique de dilution des pollutions inhérente au soutien d’étiage ne sont en rien favorables à la préservation de l’environnement. Au contraire. Lors des exposés présentés à Garlin, le vendredi 28 mars dernier, nous avons pu constater, une fois de plus, la concordance quasi-parfaite, dans le bassin de l’Adour, entre la carte des rivières réalimentées (par des barrages), celle de présence massive du maïs irrigué, celle des points noirs, rivières et nappes gravement polluées par les pollutions diffuses d’origine agricole et celle des rivières qui ne pourront atteindre le bon état en 2015, comme l’exige pourtant la nouvelle Directive cadre de l’eau de l’ Union européenne. Il suffit d’ailleurs de consulter les documents officiels pour se rendre compte que les «  masses d’eau fortement modifiées » (en particulier par les barrages et aménagements lourds des rivières) n’ont, a priori, aucune chance d’atteindre le bon état.

Notons, parmi les effets environnementaux durables du barrage du Gabas, la destruction irréversible d’une vaste zone à écrevisses à pattes blanches (liste rouge UICN des espèces menacées), sur le site même du réservoir et au-delà et le déclassement du Gabas, passé récemment en « zone d’action prioritaire contre les produits phytosanitaires ». Cette magnifique rivière a été transformée en canal d’irrigation, ainsi que les deux autres rivières « réalimentées » par ce barrage, le Lées de Garlin et le Lées de Lembeye dont le débit peut passer de 20 l./s. à 2000 l./s. en fonction des exigences de l’irrigation !

Comment donc un projet qui maintient, entérine le modèle d’agriculture qui a causé le plus de dommages aux milieux naturels d’Europe, qui favorise la poursuite de l’irrigation, de la monoculture du maïs, une plante qui n’est pas particulièrement bénéfique aux sols et à la ressource en eau ; qu’un projet qui voit se dresser contre lui l’opposition, unanime, des associations de protection de la nature ; qu’un projet dont les alternatives n’ont pas été étudiées ; et enfin qu’un projet contraire à la Directive cadre de l’eau de l’ Union européenne pourrait-il se réclamer du développement durable ?

Enfin, s’il est besoin de le préciser, un ouvrage montré en exemple par le Conseil général et le CPIE devrait aussi reposer sur des bases juridiques irréprochables. Or il n’en est rien. Malgré les dénégations du président de l’Institution Adour lors de l’inauguration du barrage, l’an dernier, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a bien jugé illégale, le 22 mars 2007, la délégation de maîtrise d’ouvrage par laquelle l’Institution Adour et la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne apparaissent travailler dans une collusion d’intérêts manifeste et préjudiciable aux contribuables. Cette décision remet en question, de fait, l’autorisation de construire le barrage et donc l’existence même de l’ouvrage et des moyens qui continuent à lui être attribués.

Nous sommes au XXIe siècle et la population a de plus en plus de moyens d’accès à l’information. La non application des lois sur la maîtrise d’ouvrage, la transparence de la vie publique et la lutte contre la corruption, pas plus que le dévoiement sans finesse du concept de développement durable, ne sont, à notre avis, les bases saines d’une bonne communication institutionnelle.

Tous ces éléments nous conduisent à demander au CPIE du Béarn de s’engager à ne plus mener d’actions qui vont à l’encontre des buts qu’il prétend poursuivre.

D’autre part, le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques ne devrait-il pas saisir cette opportunité pour mettre en cohérence ses intentions affichées d’une gestion durable de l’eau et des milieux aquatiques dans le département avec ses choix en matière d’aménagement des rivières ? Le Grenelle de l’environnement a montré et l’urgence de restaurer les milieux aquatiques, et l’importance de protéger la biodiversité, et l’intérêt du dialogue entre les acteurs. Nous sommes prêts à vous rencontrer afin de voir comment créer de nouvelles voies pour transformer en profondeur les pratiques en matière d’aménagement des fleuves dans le Sud-ouest.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers généraux, l’expression de nos salutations distinguées.

Organisations signataires :
WWF France
France Nature Environnement
Fédération SEPANSO Aquitaine et SEPANSO Béarn
Fédération UMINATE Midi-Pyrénées et UMINATE Hautes-Pyrénées
Les Amis de la Terre - France et groupes Pyrénées-Atlantiques, Landes et Gers
Maison de la Nature et de l’Environnement de Pau
Collectif Adour Eau Transparente
Gabas Nature et Patrimoine
SOS Loire Vivante
Orthez écologie
ANPER

Contacts référents :
 Xavier Bouchet (Gabas Nature www.gabas.org – SEPANSO-Béarn www.sepansobearn.org )
« La Tuilerie » 13 av. Georges Phesans 64330 Garlin – tel. : 09 54 55 76 56 – contact@gabas.org
 Michel Rodes (Vice-président Fédération SEPANSO http://pagesperso-orange.fr/federation.sepanso/ )
1 rue des Bains 64300 Orthez- tel. : 05 59 69 14 78 - rodes.michel@neuf.fr