Le 14 octobre 2013, le groupe TOTAL a arrêté la production du gaz commercial du bassin de Lacq. Une page importante de l’histoire industrielle du Béarn est ainsi en train de se tourner. Une histoire marquée par l’immobilisme des services de l’État, la privatisation des profits, la collectivisation des risques et des pollutions.
Des pollutions massives
Un demi-siècle d’exploitation gazière et de chimie fine, évoluant au gré de l’avancée des techniques et des normes de sécurité environnementales et sanitaires, laisse un lourd héritage.
L’usine de Lacq a été exploitée à partir de 1957 par la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPA) puis par Elf Aquitaine et enfin par TOTAL (via sa filiale TEPF). Dans les années 1970, quelques 3 000 salariés y travaillaient. On y traitait 33 millions de m³ de gaz et 3 000 tonnes de soufre par jour.
Les rejets dans l’atmosphère étaient énormes : 700 tonnes de dioxyde de soufre (SO2) par jour avec des pointes de pollution pouvant atteindre 1000 tonnes. En l’absence de vent, un nuage jaunâtre épais stagnait à 25 km à la ronde.
À cela s’ajoutaient les rejets de l’usine d’aluminium de Péchiney à Noguères qui pouvaient atteindre chaque jour 900 kg de fluor, moitié sous forme de gaz, moitié sous forme de particules.
D’autres usines offrent les cocktails de la pétrochimie : benzène, hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), oxydes d’azote, acide nitrique, éthylène.
Des dégâts record
Les végétaux sont littéralement brûlés par les pointes de pollutions. Le SO2 provoque des « brûlures », des nécroses internervaires à partir de 0,8 ml/m³. Les plantes pérennes accumulent le fluor et beaucoup disparaissent : châtaigniers, vigne, abricotiers. Plus un champignon, plus une abeille. A 8 km à la ronde de Péchiney, la norme de 40 mg de fluor dans le foin est dépassée. La fluorose atteint également le bétail.
En 1968, le Professeur Bourbon, toxicologue en charge du complexe de Lacq déclare « de tels taux de pollutions, s’ils devaient se reproduire fréquemment paraissent incompatibles avec les conditions minimales d’hygiène et ne pourraient plus être considérés comme sans action pour la santé ».
En décembre 1973 se produit une pollution record. Le nuage de soufre stagne dans un brouillard très épais. Le préfet, de justesse, renonce à faire évacuer Mourenx.
La pollution atmosphérique a aujourd’hui fortement baissé de par les progrès techniques mais également et surtout du fait de la baisse de la production. Toutefois elle demeure encore un problème très préoccupant.
Notons que c’est seulement en 2010 qu’a été mis en place sur le bassin un dispositif d’alerte et d’information de la population en cas de dépassement des seuils de pollution au dioxyde de soufre, au dioxyde d’azote et aux particules en suspension [1].
La pollution des sols par nombre de substances dangereuses, en particulier des hydrocarbures et des métaux lourds, impacte durablement la nappe et peut s’étendre à l’aval du site sur les eaux de surface, notamment le Gave de Pau.
L’impunité d’ELF-TOTAL
La gestion des effluents industriels a toujours été un point noir majeur dans la maîtrise des problèmes environnementaux du complexe.
La solution fut d’injecter les déchets dans les couches géologiques du Crétacé à -4000 m. Depuis 1975, y sont enfouis directement et sans traitement préalable des effluents toxiques provenant de diverses usines chimiques de la zone industrielle.
Avec la loi de finances 2012, TOTAL a obtenu d’être exonéré de la taxe générale sur les activités polluantes suite à l’adoption d’un amendement déposé par le député-maire de Mourenx David Habib. Pour défendre cette exemption, le député s’était permis d’affirmer : « Ce n’est pas une activité polluante : c’est simplement de l’eau salée » [2]. Le contentieux opposant le ministère des finances et la multinationale concernant la dette fiscale de 4 millions d’euros se poursuit.
Il aura par ailleurs fallu attendre l’an 2000, la manifestation de la SEPANSO devant les caméras de FR3, pour que soit enfin construite une station d’épuration industrielle. Les effluents étaient auparavant rejetés directement dans le Gave de Pau après un simple lagunage. L’usine la plus polluante et la plus lucrative d’Aquitaine n’avait pas d’usine de traitement des rejets, démonstration flagrante de l’’inaction du Préfet et du service des Mines.
Autre forme de « privatisation » du sous-sol au profit de TOTAL : le premier pilote de captage et de stockage de CO2 réalisé en France (captage à Lacq et stockage souterrain à Jurançon) a été stoppé en mars 2013. La conception même de ce projet aboutit à faire peser les risques et les coûts sur la collectivité. Risques de fuites de ce gaz inodore et indétectable, mortel à 7 % de concentration dans l’air, risques d’acidification des nappes phréatiques et des sols. C’est l’État qui, après une brève période de surveillance par TOTAL, prendra en charge sur fonds publics la surveillance et les interventions en cas de problème sur le puits.
L’après TOTAL
Depuis le 15 octobre 2013, une nouvelle usine de désulfuration du gaz gérée par la SOBEGI (autre filiale de TOTAL) a pris le relais et ne traite plus que 450 000 m3/jour pour ravitailler en gaz et en H2S des industriels du complexe [3].
La fermeture progressive des installations de TOTAL à Lacq a ouvert un gigantesque chantier de démantèlement et de remise en état qui s’étendra sur de nombreuses années. De fortes incertitudes entourent la dépollution des sols quant aux techniques à mettre en œuvre ou au niveau de dépollution qui sera effectivement exigé par l’administration. Elle se fera en fonction de l’usage futur des parcelles qui sera obligatoirement limité à des activités industrielles à connotation chimique. Beau prétexte pour dépolluer a minima. Il paraît impossible pour les décideurs locaux d’imaginer un autre avenir pour ce site que le « label SEVESO ».
De plus, le retrait de TOTAL engendre et engendrera l’arrivée sur la plateforme de plusieurs entreprises avec des effectifs plus réduits. D’après les salariés rencontrés, il y aura plusieurs opérateurs pour le même produit avec des impératifs hétérogènes, une application des consignes de sécurité différente d’une entreprise à l’autre.
Les questions se posent alors de la disparition d’un savoir-faire face à des situations de « crise », du respect des procédures, du déclenchement des mesures de sécurité et d’information, de la détérioration des conditions de sécurité au travail.
Le déraillement , fin septembre 2013, d’un train transportant du chlore sur les voies privées d’ASL – Association Syndicale Libre qui réunit les industriels pour gérer les problèmes de sécurité – en est l’illustration.
La difficile imputabilité des responsabilités dans ce contexte industriel éclaté n’est pas sans soulever des craintes pour la sécurité sanitaire et environnementale.